Le vin se dévergonde

Dans VSD paru ce matin, mon papier intitulé LE VIN SE DÉVERGONDE, pour parler un peu de ces vins naturels qui ne se prennent pas la tête, qui ont un packaging rigolo et qui sont sacrément bons!

Leurs étiquettes décoiffent : graphiques, chics, drôles avant tout, elles signent de surcroît de bons vins.

Fini les étiquettes guindées avec croquis de château, police à l’anglaise, commentaires ronflants et passe-partout sur la contre étiquette. Aujourd’hui, la tendance est à l’humour, au graphisme, au jeu de mots, voire à la gaudriole, à la libre création (en respectant les paramètres obligatoires devant figurer sur l’étiquette). C’est la rupture radicale avec des codes devenus ringards. Ce vent de créativité dépoussière un monde strict qui s’enlisait dans un packaging qui ne disait pas le plaisir, mais plutôt le solennel, le sacré. Or, le vin (consommé avec modération) doit rester un plaisir, sans prise de tête. L’apparition de cette valse d’originalité ne signe pas la consécration du buveur d’étiquettes. Au contraire. La plupart des vins new look sont de bons plans. Certains sont déjà des stars respectées. Chante coucou, d’Elian da Ros, en Côtes du Marmandais, par exemple, ou Claude Courtois, à Soings, en Sologne, avec Les Cailloux du Paradis. Ou encore La Pie colette, un côtes de Duras signé Catherine et Jean-Marie Le Bihan. Et la somptueuse gamme du Domaine Gramenon, de Michèle Aubery-Laurent à Montbrison, dans la Drôme : Poignée de raisin, La Mémé, La Sagesse, Fin septembre, La Sierra du Sud...

La palme du vin le plus dévergondé (et bon à la fois) revient à Pascal Simonutti, du Domaine du Pré Noir, en appellation Touraine Mesland : On s'en bat les couilles! Vin de bagnole (ou) Boire tue. (un seul vin, mais deux étiquettes au choix).

Parmi les noms de vins les plus originaux qu’il nous a été donné d’apprécier, citons, pêle-mêle : Dessine-moi un mâcon, Entre chiens et loups, Pour un peu de tendresse, La Glacière à Ferdinand, Grain de peau, Délit d’initiés (fronton) et Délice d’initié, Sang chaud, Le Blanc de Marie, Renard des Côtes, 20 de table, Le Rouge qui tâche (et) Le Blanc qui tente, Le coup de pied à la lune, French wine is not dead,Vent d'Anges (et) L'Ange et l'Hic ; et enfin les excellents Eloge de la Paresse et Eternel antidépresseur, de la cave coopérative de Castelmaure, en Corbières (les « coopé » s’y mettent aussi).

Ces vins ont tous en commun d’être élaborés par de jeunes vigneron(ne)s très pros : si leur packaging est rigolo, leur travail est sérieux. Ils se rencontrent surtout dans les Côtes du Rhône, le Languedoc-Roussillon, la Loire et l’Alsace.

Leur production signe le retour des (vrais) vins, au goût de raisin : vins de copains, vins de soif, vins canailles, ce sont avant tout des vins naturels. La plupart sont élevés en biodynamie et ne sont donc non filtrés et non soufrés. Ces nouveaux vignerons se fichent des règles drastiques de l’Institut national des appellations d’origine (Inao), qui décide des cépages (et des volumes) selon les régions, préférant « jouer » avec les assemblages et se passer d’une Appellation d’origine contrôlée (AOC). Ils sont ainsi, parfois (dé)classés en « vin de pays » ou en « vin de table ». Cela est vécu comme un gage de liberté, qui n’obère pas un succès grandissant : par chance, la confiance du consommateur ne se limite plus à un mot prestigieux (bordeaux, par exemple), inscrit sur une étiquette, mais davantage au discours relais de leur caviste ou au bouche à oreille. Et via les bistrots à vins et autres brasseries qui les proposent avec enthousiasme. ©L.M.

Léon Mazzella