La Gazette de Montpellier : nous avons traqué les pesticides dans le vin
Par Cédric Mendoza le mercredi 22 septembre 2010, 05:59 - Lien permanent
Article original : lagazettedemontpellier.fr
Le divin nectar est-il souillé par des produits chimiques dangereux pour la santé ? À l'instar de certains vignerons gravement touchés par les pesticides, le consommateur peut-il s'empoisonner ? Pour le savoir, La Gazette a fait analyser quinze bouteilles de vin d'ici et d'ailleurs par un laboratoire spécialisé. Résultat : six d'entre elles présentent des traces de pesticide. Mais pour leur part, les vins bio ne sont contaminés par aucun résidu chimique. Explications, au coeur des vendanges, sur un dossier sanitaire sensible.
Il y a deux manières de voir notre enquête. D'abord à la manière
pessimiste d'une bouteille à moitié vide: 50 % des vins conventionnels
testés par La Gazette présentent des traces de pesticide (voir le
tableau ci-contre). Certes, sans jamais dépasser les limites
réglementaires de résidus phytosanitaires autorisés. Mais en posant
toutefois la question des risques potentiels sur la santé humaine.
Signal d'alerte
Autre
lecture, ensuite, celle de la bouteille à moitié pleine : les trois
vins biologiques analysés ne contiennent aucun pesticide - pas plus
d'ailleurs, et c'est une vraie surprise, qu'ils ne contiennent de
cuivre, de soufre ou de mycotoxine. Ce modeste échantillon corrobore
scientifiquement le discours bio de rupture avec une chimie parfois
dangereuse. Et naturellement, c'est une bonne nouvelle pour les
consommateurs.
Cette analyse exclusive, financée par La Gazette (1),
et réalisée par le laboratoire nîmois Cereco, a une histoire qu'il faut
retracer. En commençant par le point de départ, ou plutôt le signal
d'alerte : les cancers et autres maladies contractées par les vignerons
utilisateurs d'insecticides, fongicides et autres herbicides. Car, sur
ce point, comme le montrent plusieurs études récentes, le doute n'est
plus permis: les pesticides pulvérisés dans les vignes, notamment pour
traiter les feuilles, peuvent générer, chez les vignerons et leur
famille, des cancers, des troubles de la reproduction, des problèmes
respiratoires, des perturbations hormonales et des altérations
neurologiques. Ainsi, dans la région, "beaucoup d'enfants
d'agriculteurs développent des malformations gé nitales", met en garde
Charles Sultan, professeur d'endocrinologie montpelliérain, dans le
film documentaire Nos enfants nous accuseront.
Suspicion
La
viticulture est particulièrement concernée. Couvrant seulement 3,5% de
la surface agricole européenne, la vigne concentre environ 15 % des
pesticides - soit la plus grosse proportion, derrière les céréales.
Bien sûr, la quantité de produits chimiques respirée par les vignerons,
tout le long de leur vie, n'a pas grandchose à voir avec le risque
couru par le consommateur de vin, même régulier.
Mais, désormais, la
suspicion s'étend jusqu'au divin nectar. D'autant qu'une étude du
ministère de l'Agriculture l'a montré et chiffré dès 2005 : presque un
tiers des pesticides appliqués aux raisins sont effectivement
"transférés" dans le vin. Un vin surveillé, comme tous les produits
agro - alimentaires aujourd'hui, par les laboratoires de l'Union
européenne et de la direction des Fraudes en France.
C'est dans ce
contexte de vigilance que La Gazette a concocté son analyse. Plusieurs
questions se posaient. Quelles bouteilles choisir ? Nous avons opté
pour un mélange de vins languedociens (premier vigno ble au monde) et
d'autres régions (Bordeaux, Bourgogne, Provence). De crus prestigieux
(Daumas Gassac, Pue ch-Haut, Bergerie de l'Hortus) et de prix modérés.
De vins conventionnels et de produits issus de l'agriculture biologique.
35 pesticides testés
Question suivante: que rechercher?
Des
pesticides, bien sûr, mais lesquels ? Deux études du même tonneau nous
ont aidés à identifier les molécules utilisées par les vignerons :
celle réalisée par Pan Europe (2), fédération d'associations écolos
européennes, et celle publiée par le magazine Que Choisir (3). Outre
cette liste de produits chimiques, le laboratoire Cereco, spécialisé
dans la recherche de contaminants agroalimentaires, a fait ses propres
suggestions, pour arriver à un total de 35 pesticides évalués.
Mais
c'était faire la part trop belle aux vins bio. Par définition, la
viticulture biologique n'utilise pas les pesticides - même si l'étude
Pan Europe distingue un bourgogne bio contaminé par un pesticide
utilisé sur la parcelle conventionnelle voisine...
En revanche, pour
compenser l'absence de traitement par chimie de synthèse, le secteur
bio a la réputation d'avoir la main lourde sur le soufre et le cuivre.
On a donc rajouté la recherche de ces deux produits. Ainsi que celle
d'une mycotoxine (champignon), l'ochratoxine A, susceptible de se
développer davantage sur le vignoble bio qui n'emploie pas de fongicide.
Clean
Surprise
: nos trois vins bio analysés (Domaine de la Prose, Hech & Bannier,
Natura) sont "clean de chez clean"! Pas de pesticide, ni de cuivre, ni
de soufre, ni de mycotoxine. "Vos analyses sont très complètes et les
vins, même conventionnels, plutôt propres, commente Didier Montet, chef
du laboratoire de Sûreté des aliments au Cirad. Mais les attaques
fongiques, et les traitements afférents, varient beaucoup selon les
années. Vous êtes peut-être bien tombé."
Reste que, du côté des vins
conventionnels, six sur douze présentent des traces de pesticides.
Certes, à des niveaux très inférieurs aux limites légales tolérées.
Mais cela pose quand même problème pour au moins trois raisons.
Un
: il n'existe pas de "limite légale" pour le vin. Conformément aux
préconisations de l'Afssa (4), nous nous sommes référés aux "limites
maximales de résidus" (LMR) applicables au raisin de cuve. Jus de
raisin ou vin, les produits sont proches. Mais pas identiques, ni dans
leur composition globale, ni dans leur mode de consommation.
Cancérigène
Deux
: le non-franchissement de la LMR, quelle qu'elle soit, ne garantit pas
l'innocuité du produit. Parce que les effets de chaque pesticide sur la
santé humaine sont encore mal connus - les "limites maximales" sont
d'ailleurs régulièrement revues à la hausse. Et parce que l'association
entre plusieurs pesticides, encore plus méconnue, inquiète nombre de
chercheurs - leurs effets toxiques s'additionnent- ils ou se
potentialisent- ils?
Trois :
un des quatre pesticides mis en évidence par nos analyses, le
pyriméthanil, est clairement considéré comme un "cancérigène possible"
par l'Agence américaine de protection de l'environnement (5).
Faut-il
pour autant arrêter de boire du vin ? Certainement pas. D'une part,
parce que toute la chaîne agroalimentaire est contaminée, et on ne va
pas s'arrêter de manger pour autant. D'autre part, parce que le
consommateur peut opter pour du vin bio : un vin qui sort lavé de tout
toxique dans notre modeste enquête.
Olivier Rioux
(1) À hauteur de 5 381 euros.
(2) Pesticide Action Network (PAN). Étude sur la présence de résidus de pesticide dans le vin, mars 2008.
(3) "Que Choisir" n° 459 de mai 2008. Test sur 43 vins bio.
(4) Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
(5) US EPA, Office of Pesticide Programs, Carcinogen List.
TEST : LA MOITIE DES VINS CONVENTIONNELS CONTIENNENT DES PESTICIDES
Région - Vins conventionnels - pesticide - Ochratoxine, cuivre, soufre
Languedoc - Bergerie l'Hortus - Pic St-Loup - 2009 - RAS - RAS
Languedoc - Château des Estanilles - Faugères - 2007 - RAS - RAS
Languedoc - Château Mourgues du Grès - dimétomorphe 0.02 mg/l - ochratoxine A
Languedoc - Costières de Nîmes - 2008 - métalaxyl 0.01mg/l 0.05μg/l
Languedoc - Château Puech-Haut St-Drézéry - 2006 - dimétomorphe 0.01 mg/l - RAS - pyriméthanil 0.01 mg/l
Languedoc - Château de Veyran - Saint-Chinian - 2007 - RAS - RAS
Languedoc - Domaine Félines Jourdan - Picpoul de Pinet - 2008 - dimétomorphe 0.01 mg/l - RAS
Languedoc - Domaine Henry Grès de Montpellier - 2007 - RAS - RAS
Languedoc - Mas de Daumas Gassac - 2007 - dimétomorphe 0.03 mg/l - RAS
Languedoc - Frontignan - Premier Muscat - RAS - ochratoxine A 0.21 μg/l
Bourgogne - Pinot noir - 2008 - dimétomorphe 0.01 mg/l - RAS - pyriméthanil 0.08 mg/l - boscalid 0.02 mg/l
Bordeaux - Château La Roche Beaulieu - 2004 - RAS - RAS
Provence - Côtes de Provence - 2009 - RAS - RAS
VINS BIO
Languedoc - Domaine de la Prose - St-Georges-d'Orques - 2007 - RAS - RAS
Languedoc - Hecht&Bannier - Languedoc - 2008 - RAS - RAS
Languedoc - Natura - cabernet sauvignon - RAS - RAS
RAS : rien à signaler. μg/l : microgramme par litre.
Voici
le résultat des analyses diligentées par le laboratoire Cereco à Nîmes
Garons. Précision importante: les six vins qui présentent des traces de
pesticides et/ou d'ochratoxine A (mycotoxine) sont tous très en dessous
des "limites maximales de résidus" autorisées.
Ces limites réglementaires européennes, définies pour le raisin de cuve, sont les suivantes:
3 mg/kg pour le dimétomorphe,
5 mg/kg pour le pyrimethanil,
5mg/kg pour le boscalid,
1 mg/kg pour le métalaxyl.
En ce qui concerne l'ochratoxine A, appliquée au vin, la limite est de 2 μg/kg (2 microgrammes par kilo).
Liste des 35 pesticides recherchés par le laboratoire:
azoxystrobine,
boscalid, bromoprophylate, captan, carbendazimes, chlorpyripfos-ethyl,
cyprodonil, difenoconazole, dimétomorphemanèbe, fenbuconazole,
fenhexamid, fenoxycarb, fludioxonil, fluzilazole, folpet, iprodione,
iprovalicarb, métalaxyl, méthamidophos, myclobutanil, oxadixyl,
procymidone, propamocarb, pyraclostrobine, pyriméthanil,
pyrimiphos-methyl, tebuconazole, tebufenpryad, tetradifon,
thiophanatemethyl, thirame, trifloxystrobine, spiroxamine, zinèbe,
vinciozoline.
Méthodes analytiques employées:
chromatographie gazeuse, spectrométrie de masse et absorption atomique pour le cuivre.
VIN, PESTICIDES ET BIO
La moitié des aliments contaminés
En
2007, la Commission européenne a analysé 62000 produits alimentaires
achetés dans toute l'Union. Verdict: 41 % d'entre eux contenaient des
pesticides. Et parmi eux, presque 5% dépassaient les limites légales
autorisées.
Fruits, légumes et céréales représentaient 92 % des
produits évalués. Ce sont les poivrons et les raisins qui associaient
le plus de pesticides différents (une dizaine) sur le même produit. Au
total, 349 pesticides ont été identifiés.
Chaque année, 220000
tonnes de pesticides sont épandues dans l'Union européenne: 108000
tonnes de fongicides, 84000 d'herbicides, 21000 d'insecticides et 7000
de régulateurs de croissance.
Consommation d'alcool en baisse
En
trente ans, la consommation d'alcool en France a presque chuté de
moitié. Selon l'Insee, le Français moyen buvait 20,4 litres d'alcool
par an en 1970, 16 en en 1990 et 12,3 en 2008. La diminution de la
conso de vin explique largement le phénomène.
Une étude publiée cet
été confirme la tendance. Selon GFK/ISL, la part de consommateurs
réguliers de vin (presque tous les jours) est passée de 51 % à 17 %
entre 1980 et 2010. Parallèlement, la proportion d'amateurs
occasionnels (une à deux fois par semaine) a augmenté de quinze points.
Et celle des non-consommateurs a doublé.
L'État lutte contre les pesticides
Réduire
de 50 % l'utilisation des pesticides d'ici 2018: tel est l'objectif de
l'État dans la droite ligne du Grenelle de l'environnement. Appliquant
ce Plan Écophyto, la préfecture de la Région a réuni, le 8 juillet
dernier, tous les acteurs concernés: organisations agricoles,
distributeurs de produits phytosanitaires, associations de protection
de l'environnement ou de consommateurs. Des actions de recherche,
d'expérimentation et de formation sont programmées. Au niveau national,
ce plan est doté de 221millions d'euros. Parallèlement, une étude de
l'Inra affirme qu'une réduction de 30 % des pesticides serait possible
sans bouleversement majeur. Avec toutefois, sur les grandes cultures,
une baisse de production d'environ 6%.
La Région soutient le bio
"Favoriser
une agriculture respectueuse de l'environnement et de la biodiversité":
telle est l'ambition de la Région. Sur la période 2005-2009, elle a
investi 6,5 millions d'euros dans le développement de l'agriculture
biologique. Cela a naturellement favorisé la viticulture bio régionale,
première de France. En pleine croissance, surtout depuis l'an dernier,
celle-ci regroupe 798 exploitations qui couvrent 5% des surfaces
viticoles (12661 hectares).
Vin: la France en tête
En
2009, la France est redevenue le premier producteur mondial de vin.
Avec une production de 45,7 millions d'hectolitres - dont 13 pour la
Région -, elle a détrôné l'Italie qui avait pris la tête du classement
depuis deux ans. Au niveau mondial, la production tourne autour de
270millions d'hectolitres, pour une consommation qui ne dépasse guère
les 250millions d'hectos...
Article original : lagazettedemontpellier.fr