Le vin naturel, une question de style

La lecture des étiquettes n'apporte que peu d'informations sur la fabrication du vin. Cependant quelques artisans-vignerons proposent de véritables produits naturels.

À Patrimonio, Antoine Arena a banni les produits chimiques de sa vigne. Crédits photo : Madame Figaro


Depuis trente ans, on trouve partout en France des vignerons qui ont laissé de côté les engrais chimiques, les désherbants, les fongicides, les insecticides et repris le travail de la terre avec l'ambition d'être de parfaits jardiniers. Parmi eux, Antoine Arena à Patrimonio, Frédéric Cossard à Saint-Romain, Bruno Duchêne à Banyuls, Charles Hours à Jurançon, Marcel Lapierre à Villié-Morgon, Eric Pfifferling à Tavel, Hervé Villemade à Cheverny. C'est toujours un plaisir d'aller se promener dans les parcelles de leur domaine : on y voit des libellules et des boutons d'or, des coccinelles et des fauvettes, des vignes taillées avec amour et des fruits lents à mûrir. À ces artisans rebelles aux sirènes de l'agro-industrie, il faut associer les héritiers de vieilles maisons familiales qui n'ont pas changé leur façon de travailler au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : Jean-Pierre et Pascal Amoreau dans les Côtes de Francs, Joseph et Christian Binner en Alsace, Alain et Jérôme Lenoir à Chinon.

Les raisins que ces artisans vendangent chaque année bénéficient parfois de la mention «issu de l'agriculture biologique». Mais ce n'est pas tout. À quoi servirait-il de ramasser de beaux fruits si on pouvait ensuite les accabler de cosmétiques œnologiques, d'acide tartrique, de levures synthétiques et d'anhydride sulfureux ? De la vigne à la cave, les vignerons qui participent aujourd'hui à la renaissance des vins français ont choisi d'être exemplaires. Ce n'est pas une affaire idéologique, c'est une histoire de gourmandise. Mieux encore : une question de style. «Je me méfie du soufre en tant qu'il dégrade les éléments d'élégance du vin», explique Anselme Selosse, installé à Avize, au cœur de la Côte des Blancs, où il produit quelques-uns des plus beaux champagnes du monde. «Je ne produis pas un vin biologique ou biodynamique. Je produis un vin expressif et naturel», s'empresse-t-il d'ajouter, pour que les choses soient claires.

Bombardement chimique


Il faut en effet savoir que le vin «bio» n'existe pas - et cela ne trouble guère les buveurs de goût. Si certains artisans vinifient du raisin «issu de l'agriculture biologique» comme nous l'avons dit, aucun d'eux ne peut prétendre produire de vin «biologique», puisqu'il n'existe aucun label européen certifiant qu'un jus a été vinifié sans additifs œnologiques : levures sélectionnées, acide tartrique, enzymes, glycérine, lait en poudre, copeaux de bois.

Jusqu'à ce jour, il faut se contenter de la vague mention «contient des sulfites», qui ne signifie pas grand-chose puisqu'elle n'oblige pas à indiquer le volume d'anhydride sulfureux (SO2) ajouté. Selon la législation en vigueur, les quantités peuvent varier de 10 à 210 mg/litre pour un blanc sec et de 10 à 400 mg/litre pour un liquoreux. Pas moyen de faire la différence entre le travail propre d'un vigneron circonspect et le bombardement chimique d'un laborantin fou préparant le buveur innocent à subir, au réveil, une double barre frontale et un bourdonnement continu à l'occiput. Il en va de même pour tous les additifs. Un vigneron peut charger ses cuves en E 517 (sulfate d'ammonium employé en fermentation), en E 501 (carbonate de potassiumrectifiant l'acidité) et en E 202 (sorbate de potassium employé comme agent conservateur) sans le faire savoir. Pire encore : rien ne lui interdit ensuite de revendiquer un label bio - AB ou Terra Vitis - qui concernera uniquement la culture de la vigne et jettera le trouble dans l'esprit des profanes.

Parmi les artisans-vignerons qui ont laissé de côté intrants, insecticides et pesticides, seule une minorité pousse jusqu'au bout la quête d'une expression naturelle du raisin fermenté. Cette élite se passe très bien des labels certifiant que leurs vignes ont été travaillées proprement et que leurs jus sont vinifiés sans chimie de synthèse. Le combat qu'elle mène n'est pas une guerre administrative, c'est une guerre du goût. «Ce n'est pas à nous d'écrire vin bio sur les étiquettes, c'est aux autres d'indiquer vin chimique», s'amusait un jour Jean-Claude Chanudet à propos du beaujolais qu'il produit avec Marcel Lapierre au Château Cambon.

Sébastien Lapaque