Vivarais, les caves se rebiffent
Par Cédric Mendoza le jeudi 16 octobre 2008, 20:04 - Lien permanent
Jadis méprisés, même par les coopératives qui les achetaient au
rabais, les vins très typés du sud de l'Ardèche se désinhibent. Tournée
de ces viticulteurs qui misent sur le bio, la production maîtrisée et
qui mettent de la poésie dans leurs bouteilles.
Le Vivarais n'était pas franchement réputé pour ses
vins. Dans un pays où les paysans mangeaient des cailloux en buvant de
la piquette, il aura fallu qu'un pionnier, Alain Gallety,
révèle le terroir. Une génération enthousiaste a suivi. Parcourir le
sud de l'Ardèche pour y dénicher de bons crus, variés et peu chers, n'a
plus rien de saugrenu. Cela peut se faire en deux jours ou plus. Les
chambres d'hôtes sont nombreuses tout le long de la route. Chez les
vignerons, il faut prendre rendez-vous et du temps. Car en Ardèche,
même ceux qui vendent leur production sans problème aiment expliquer
leurs vins.
Le circuit commence à Pont-Saint-Esprit, à l'extrême sud-est du
département. La nationale 86 remonte vers Saint-Marcel d'Ardèche et une
pancarte sur la gauche, en sortie de village, annonce le mas de Libian.
La famille Thibon vit là, en haut d'un chemin caillouteux, depuis le
XVIIe siècle. C'est souvent Hélène, l'une des filles de la dernière
génération, qui accueille. Elle ressemble à ses vins. Vive et gaie,
jolie et sans détour. Les Thibon mêlent la syrah du nord de l'Ardèche
pour la colonne vertébrale au grenache méridional, pour la rondeur.
Avec, en plus, pour les cuvées les plus profondes, une pointe de
mourvèdre épicée.
A cette époque de l'année, il ne reste au domaine que deux cuvées. Le
Bout d'zan (6,50 €), dans lequel le grenache dépose une note réglissée.
Et le Khayyâm, plus structuré, encore austère. Le domaine est en bio,
et il vient d'acheter un cheval de trait, pour travailler la terre sans
mécanisation. Les parents, déjà respectueux des sols d'après leur
fille, vendaient à des négociants qui ne prenaient pas le temps de
goûter. «A l'époque, ils achetaient ce qu'on avait, un euro de moins qu'ailleurs, parce qu'on était en Ardèche, grimace la jeune vigneronne. Ça nous a donné la rage de mettre en bouteilles.»
...
Comme le plateau s'achève, la route plonge dans une gorge, chauve comme
le Ventoux. En bas, un goulet marque l'entrée de Saint-Montan, village
médiéval et fief d'Alain Gallety,
pape des côtes-du-vivarais. Son père, grossiste en métaux, avait acheté
en 1974 une bastide de style andalou, avec ses vignes autour. Les
volets restent clos, car les vins se reposent derrière les murs épais
de cette demeure fraîche, construite pour un évêque.
Trente ans de bio. David-Alexandre, le fils, fait
visiter cuves et chais, puis goûter les trois cuvées de la maison, sous
une voûte tirée à quatre cintres. Les vins de Gallety sont longs en
bouche, un peu fauves. Il travaille en bio depuis trente ans, avec de
beaux terroirs et de bas rendements. A son arrivée, il passait pour un
mal instruit des choses de la terre. Depuis, son succès a servi de
leçon à tout le monde. La gamme commence à 7,50 euros, et la Syrare,
profonde et complexe, atteint 40 euros. Mais les 3 000 bouteilles
s'arrachent.
Au Gaec du Mazel,
Gérald et Jocelyne Oustric, frère et soeur, vinifient des vins très
gourmands. Certaines cuvées, comme les vieilles vignes de grenache (7
€), donnent l'impression de croquer du fruit rouge. «Je me fous des vins de très longue garde, raconte Gérald Oustric. Je veux faire des vins légers, fruités, que l'on peut boire en quantité sans se saouler.» Il travaille en bio, n'ajoute ni levures chimiques, ni sucre, ni sulfite. «Le boulot le plus important, résume-t-il, c'est de marcher dans la vigne, l'écouter, répondre à ce qu'elle demande.» Cela
donne un vin de plaisir, à conserver à 14° maximum, car sans sulfite ni
filtration, la chaleur relance parfois la macération.
Solidarité. Le Mazel veut passer de trente à vingt hectares, pour «retrouver le travail par plaisir» .
Une décroissance qui tente d'autres jeunes de la vallée. Il y a la
surproduction, mais pas seulement. La nouvelle génération veut prendre
le temps de faire de la qualité, tout en levant le nez de la vigne.
Elle évite les rivalités stériles et certains domaines s'échangent
clients et conseils...
En repartant, une route étroite escalade un col pour plonger sur Saint-Maurice-d'Ibie, où niche le mas de la Bégude.
Difficile à trouver, car le producteur ne veut plus que les touristes
s'arrêtent par hasard. Ses vins sont tellement typés qu'ils tordaient
le nez en les goûtant. Il a enlevé la pancarte. Pour le trouver, il
faut tourner à gauche sur la route de l'Ibie en descendant de
Valvignère. Passer un hameau qui s'appelle Sallèle, puis prendre le
chemin de gauche, après le pont de pierre.
Les vins de Gilles Azzoni
ne ressemblent à rien. Ou à lui, viticulteur cultivé, passionné de
sociologie et d'histoire. Un banlieusard parisien, devenu ouvrier
agricole à Volnay puis à Bandol, et qui s'est installé en Ardèche il y
a vingt ans. Il a évolué vers le bio, puis les vins naturels, où l'on
ne rajoute rien. Aujourd'hui, il revendique de ne plus maîtriser ses
vinifications. Le travail se déroule avant, dans la culture de la
vigne, apprise en Bourgogne. Ensuite, il met en cuves et laisse faire,
ou presque. Il «accompagne». D'un millésime à l'autre, il se laisse
surprendre, et déstabilise ses clients. Il vous scrute lorsque vous
plongez le nez sur des arômes de renard, parfois de charcuterie. Un vin
tout en déviations. «Je suis au bord de la caricature, reconnaît-il. Je frise le psychotique.»
Les douanes lui ont demandé de numéroter ses cuves, car il s'était
contenté de les baptiser Camus, Zola, Chaplin, Brel... Au sommet, une
passerelle serpente. Cela permet de se balader de l'une à l'autre, se
pencher, soutirer un verre. Zola semble un peu austère cette année. De
Gallety à Azzoni, deux extrémités du vin ardéchois. Le classicisme
appliqué à un très beau terroir. Ou la poésie arrachée à une terre qui
se croyait ingrate.
Olivier Bertrand - Libération